KYOTO
(JAPON)
Festivités du 40e anniversaire de la Convention
concernant la protection du Patrimoine mondial culturel et naturel
RÉFLEXIONS
SUR LA CONVENTION DE 1972
|
Dr SOK An
Président du
Comité
du Patrimoine
mondial
Kyoto, 6 novembre 2012
Dear Madam
Irina Bokova, Director-General of UNESCO,
Your Excellency
Mr Daisuke Matsumoto, Senior Vice-Minister of the Ministry of Education,
Culture, Sports, Science and Technology,
Your Excellency
Mr Masuo Nishibayashi, Ambassador of Japan to UNESCO, and the Chairman of the
Closing Event of the Celebration of the 40th Anniversary of WH
Convention
Your Excellency
Mr. Koïchiro MATSUURA, Former Director-General of UNESCO
Dr Sen
Genshitu, Good will Ambassador of UNESCO
Your Excellency
Mr Francesco Bandarin, Assistance Director-General of UNESCO for Culture,
Your Excellency
Kishore Rao, Director of the World Heritage Centre,
Your Excellency
Mr Kazuyuki Hamada, Parliamentary Vice-Minister for Foreign Affairs
Your Excellency
Mr Yasuhiro Kajiwara, Parliamentary Secretary Agriculture, Forestry and
Fisheries,
Your Excellency
Mr Seiichi Kondo, Commissioner for Cultural Affairs
Honourable Excellencies,
Distinguished professors and
experts,
Dear colleagues of the World
Heritage Committee,
Ladies and gentlemen,
Soshite Nihon no
Mina-sama Kon-nitchiwà, (Et Bonjour à tous nos amis du Japon)
Avant toute chose, je tiens à m’acquitter d’un agréable
devoir, Un double devoir, en vérité !
C’est, d’abord, aux honorables représentants du Ministère
des Affaires étrangères du Japon que je m’adresse. Je leur exprime de sincères
et chaleureux remerciements pour l’invitation qui me permet d’être parmi vous,
aujourd’hui, et de m’associer aux Journées festives de KYOTO.
Mon autre pensée concerne les Etats membres du Comité du
Patrimoine mondial, au nombre desquels siège, comme vous le savez, le JAPON.
Ces 21 Etats m’ont fait l’insigne honneur (tant apprécié
par mon pays, le Royaume du Cambodge !) de me porter, par consensus, à la
présidence du Comité.
C’était au début du mois de juillet dernier, à Saint
Pétersbourg, dans la Fédération de Russie. J’étais absent au moment du choix,
mais je reste très reconnaissant et je voudrais profiter de l’occasion solennelle
de notre réunion de KYOTO pour exprimer publiquement ma reconnaissance.
Chers collègues du Comité,
Merci, de tout cœur, de m’avoir, en particulier, offert
le privilège d’être le président du Comité du Patrimoine mondial dès 2012,
l’année même où la communauté internationale fête les 40 ans de la Convention
de 1972.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Tout, ou presque tout, va être dit, ici à KYOTO, et,
assurément, très bien dit sur notre belle Convention de 1972, mondialement
connue, désormais, et chaleureusement fêtée en raison de ses succès. De fait,
sont présents parmi nous, de prestigieux anciens présidents du Comité, que je
suis heureux de saluer. Participent également à nos assises de grands experts
venus en nombre et d’horizons divers. Leur présence active et la variété de
leurs contributions à la réflexion et aux débats témoignent, au mieux, tant de
la DIVERSITÉ CULTURELLE que des approches diversifiées que suscite le domaine du
patrimoine. De telles approches (qu’il s’agisse de patrimoine culturel ou
naturel !) sont les seules à même d’assurer des consensus durables et des
compromis sans compromission !
Permettez-moi donc, en ce jour heureux de la fête du 40e
anniversaire, de vous faire part de quelques réflexions sur la CONVENTION DE
1972.
Certes, Mesdames et Messieurs, c’est depuis plus d’une
décennie qu’en qualité de président de l’Autorité nationale APSARA, je veille à
assurer, personnellement et avec l’assistance de mes collaborateurs, la
protection, la valorisation et la gestion du patrimoine d’ANGKOR, joyau de la Liste
du Patrimoine mondial depuis 1992. De même, comme certains parmi vous le savent
bien, j’ai conduit, entre 2002 et 2008, avec l’aide technique d’experts
cambodgiens et internationaux, la préparation du dossier d’inscription du
TEMPLE DE PREAH VIHEAR.
Sous l’égide du Gouvernement royal et de Son Excellence
le Premier Ministre du Cambodge, Samdech Akka Maha Sena Padei Techo HUN Sen,
nous avons pu prendre les mesures juridiques et administratives adéquates en
vue de la sauvegarde de ce TEMPLE. Ainsi, son inscription sur la Liste a pu
être acquise à Québec, au Canada, en juillet 2008, lors de la 32e
session du Comité.
Toutefois, en dépit de ma participation ininterrompue à
tout ce processus patrimonial et malgré ma formation universitaire d’historien,
de géographe, et de sociologue ainsi de l’Êcole Nationale de l’Administration
(ENA), je ne puis prétendre, en présence
des experts, discuter de la protection ou de la valorisation du patrimoine ni
me mêler aux débats sur l’éthique et la pratique du patrimoine.
Je m’en tiendrai, en conséquence, à de simples réflexions
sur la Convention.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais, d’emblée, insister sur une idée générale
essentielle à mes yeux, et j’espère que de nombreux observateurs partageront ce
point de vue.
Ce qui distingue, me semble-t-il, la CONVENTION PORTANT
PROTECTION DU PATRIMOINE MONDIAL, c’est
le fait, tout à fait unique !, qu’elle CONSTITUE LA FACE CULTURELLE DE LA
MONDIALISATION.
A ce propos, permettez-moi, d’abord, un rappel.
Depuis la fin des antagonismes qui furent souvent
implacables, entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, l’on a vu se renforcer, à
travers le monde, les voies du dialogue et la recherche de la concertation.
Malgré les déséquilibres économiques et les fractures sociales, l’on s’attache,
de nouveau, à penser aux voies et moyens de « bâtir la paix dans
l’esprit des hommes ». C’est dans ce contexte que le rôle de l’UNESCO
s’est également renforcé, grâce aux efforts conjugués et soutenus des Etats
Membres et par la volonté des remarquables Directeurs généraux qui s’y sont succédé,
en particulier depuis S. Exc. Monsieur
Amadou Mahtar M’BOW jusqu’à S. Exc. Madame Irina BOKOVA.
Comme l’ont bien mis en exergue les analyses et les
bilans présentés lors de la célébration du 65e anniversaire de sa
fondation, notre Organisation internationale est devenue réellement planétaire.
Mais surtout elle est vraiment devenue le lieu par excellence où exprimer des
visions, proposer des innovations, prôner l’échange, sinon le partage, des
savoirs et des savoir-faire.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Si j’ai rappelé la vocation universelle de l’UNESCO,
c’est pour mieux faire apparaître l’idéal d’universalité qui a inspiré les
rédacteurs de la Convention de 1972.
On le sait bien : avant l’adoption de cette
Convention par la Conférence générale de l’UNESCO, lors de sa 17e
session, le 16 novembre 1972, l’intérêt se focalisait, pour l’essentiel, sur
les monuments et les œuvres d’art. Et, à la suite des traumatismes consécutifs
à la Seconde Guerre mondiale, l’insistance se portait sur la nécessité de la
protection de ces monuments et de ces œuvres en cas de conflit armé (c’est
évidemment, la Convention de la Haye, adoptée le 14 mai 1954).
En 1972, notre Convention du Patrimoine mondial innove :
d’abord, pour la thématique. Désormais, le patrimoine culturel comprend les
monuments, les ensembles, (c’est-à-dire les groupes de construction)
et les sites (que ces derniers soient l’œuvre de l’homme ou l’œuvre
conjuguée de l’homme et de la nature). Mais l’essentiel, me semble-t-il, est
ailleurs. La Convention, en effet, apporte, à travers sa philosophie et dans
sa formulation juridique, une NOUVELLE
APPROCHE patrimoniale. Elle est parvenue à dépasser les tensions anciennes et
si vives entre deux forces de représentation :
- d’une part, les liens indéfectibles (et si chers aux peuples
et aux nations, en particulier dans le Tiers monde !), les liens entre les
biens culturels et l’identité culturelle,
- d’autre part, l’universalité progressive des biens
culturels, due au fait que l’humanité, dans l’éthique de l’UNESCO, se définissait,
et se définit de plus en plus comme un
assemblage dynamique des cultures.
On le voit bien : en ce temps-là, déjà, vers la fin
des années 60 et au début des années 70, l’UNESCO était décidément en avance
sur son temps. C’est ainsi que la Convention de 1972, dans ses principes mêmes,
tenait le plus grand compte de la DIVERSITÉ DES CULTURES, avant
même qu’une Convention spécifique ne vienne, en 2005, donner une
légitimité institutionnelle, au plan
international, à cette notion. Justement, cette DIVERSITÉ se reflète dans la
mise en œuvre de la Convention. On le constate en parcourant le grand répertoire
édifié par la Liste du Patrimoine mondial, depuis 1978, année des premières
inscriptions à l’occasion de la deuxième session du Comité tenue à Washington,
puis magistralement conduit jusqu’à cette année 2012, avec la tenue de la 36e
session du Comité à Saint Pétersbourg. A travers la planète, telle que la
présente la Liste, l’on constate la présence de ce qui constitue l’essentiel
aux yeux des Etats parties à la Convention, à savoir les civilisations, les
cultures, les religions, et aussi, les architectures, les techniques de bâtir
et les arts. Malgré l’échantillonnage, le grand répertoire est vraiment
REPRÉSENTATIF ET ÉDIFIANT.
Chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Il est une autre caractéristique remarquable de notre Convention : sa
mise en œuvre a permis à un grand nombre
de pays de se réapproprier l’ensemble du parcours historique qu’a suivi
leur territoire et d’intégrer la diversité culturelle au sein même de leur
liste nationale de biens.
Prenons, par exemple, le cas de la TUNISIE que je connais mieux grâce au
professeur Azedine BESCHAOUCH, ancien président de notre Comité et, depuis
1993, Secrétaire scientifique du Comité international de Coordination pour
ANGKOR. La Tunisie est aujourd’hui un pays relevant de la culture arabe et de
la civilisation musulmane. Or la Liste des biens inscrits à sa requête comprend
des sites archéologiques phéniciens, romains et chrétiens, c’est-à-dire datant
des siècles d’avant l’Islam. Il en est de même de la Libye également
arabo-musulmane. Dans ce pays, la part des sites de l’antiquité gréco-romaine
est même prédominante.
Prenons, aussi, le cas exemplaire de l’Espagne. Dans sa Liste apparaissent
des chefs-d’œuvre de l’architecture arabe et de l’art musulman, avec Cordoue,
Grenade, Tolède, Séville, et j’en passe.
J’en viens maintenant à une troisième caractéristique de notre Convention.
Elle a pu permettre (on ne le dit pas assez !) permettre une mise à
distance de certains aspects conflictuels ou sensibles dans les relations
internationales, en donnant aussi de la force à la portée symbolique de tel ou
tel bien.
A cet égard, le dossier d’inscription de l’Ile de Gorée au Sénégal me
paraît également exemplaire. Gorée est, pour la conscience universelle, le
symbôle de la traite négrière « avec son cortège de souffrances, de larmes
et de morts ». Elle reste « l’archétype de la souffrance de l’homme
noir, à travers les âges » et un lieu
tristement célèbre dans l’histoire de l’esclavage entre l’Afrique et
l’Amérique.
En proposant l’inscription en 1978, le SÉNÉGAL explique (je cite les termes
mêmes de la proposition d’inscription), « la raison fondamentale qui
sous-tend notre action en direction de
Gorée procède de préoccupations humanistes. Gorée a été le théâtre d’affrontements
acharnés entre les hommes. Le Sénégal moderne voudrait en faire UN SANCTUAIRE
DE LA RÉCONCILIATION DES HOMMES PAR LE PARDON ».
Dans ce contexte, j’aimerais, chers collègues, retenir votre attention
quelques instants sur le cas d’inscription sur la Liste de la vieille Ville de
Jérusalem et ses Remparts. Demandée en 1980 par le Royaume de Jordanie qui administrait
la vielle ville jusqu’à son occupation en 1967 par Israël, l’inscription était
inspirée au départ par la conjoncture politique, le conflit régional, et les
difficultés d’application de la Convention de 1954.
Objet de revendications identitaires, lieu de confrontations au nom de
l’histoire et de la mémoire, terrain d’une compétition acharnée entre des
représentations antagonistes du passé, la vieille Ville de Jérusalem finit par
être inscrite en dehors de ce contexte et en raison de son caractère universel
exceptionnel. Par consensus, la portée symbolique de son patrimoine est mise en exergue et l’on insiste sur la
nécessité de perpétuer, sur le terrain, la rencontre entre les trois cultures
et les trois patrimoines relevant du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Si le temps le permettait, l’on pourrait analyser le cas
du Pont de Mostar, en Bosnie-Herzégovine et montrer comment les conditions
de mise en œuvre de la Convention de 1972 ont inspiré une démarche remarquable
aux dirigeants fédéraux et cantonaux de ce pays. L’idée de faire appel à
l’UNESCO pour reconstruire le Pont historique leur a donné l’espoir de le faire
inscrire. Ce « Pont » fut détruit, intentionnellement, par des
extrémistes pendant la guerre civile en ex-Yougoslavie. Cette reconstruction
fut faite à l’identique et, si je puis dire, à l’authentique, comme me l’a fait
remarquer le professeur Mounir BOUCHENAKI, ancien sous-Directeur Général de
l’UNESCO pour la Culture. En faisant de vieux Pont de Mostar un bien du
patrimoine universel, le Comité du Patrimoine mondial a fait triompher
l’éthique de l’apaisement et la symbolique de la réconciliation entre les
anciens antagonistes.
Madame la Directrice générale,
Honorables Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Il me faut assurément conclure.
J’ai tenu, étant Cambodgien, à ne pas parler des sites
inscrits à la requête du Cambodge, le site d’ANGKOR et le TEMPLE de PREAH
VIHEAR. Je ne ferai, à ce propos, qu’une remarque, celle d’un Président
évaluant l’action passée du Comité. Dans sa sagesse, le Comité, en 1992, n’a
pas tenu compte de tout ce qui, à l’époque, dans l’état où était le Cambodge,
pouvait justifier le refus d’inscrire ANGKOR. Il n’a considéré qu’un
fait essentiel : permettre la sauvegarde
de ce site majeur dans l’histoire de l’humanité.
Tout le monde connaît les heureuses conséquences de cette
décision courageuse. Le site une fois inscrit, le Japon a pu, en octobre 1993,
organiser une conférence internationale
sur la conservation et le développement du site d’Angkor. Cette conférence
fondatrice a donné le signal à une action
internationale hors pair qui dure depuis une vingtaine d’années, sous
l’égide de l’UNESCO et la co-présidence du Japon et de la France, et dont les
résultats sont vraiment spectaculaires.
Voici donc, pour finir, quelques réflexions conclusives.
La Convention de 1972 concerne aussi bien le patrimoine
culturel que le patrimoine naturel. D’autres, plus savants, que moi, pourront
évaluer les grandes avancées obtenues par la Convention en matière de
sauvegarde et de gestion des biens naturels inscrits sur la Liste. Pour ma
part, connaissant quelque peu les biens culturels, je m’y tiendrai. La Liste
des biens culturels inscrits, ce merveilleux répertoire culturel permet, à coup
sûr, « une connaissance réciproque des cultures et une compréhension
mutuelle entre les peuples ». Elle peut constituer une base solide à
ce que l’UNESCO a appelé la civilisation de l’universel ou bien « l’humanisme
universel », concept préféré par le grand poète Aimé Césaire. Je
le cite parce que le patrimoine mondial invite aussi au rêve et à la poésie.
Il n’y a pas, évidemment, de patrimoine culturel sans
référence à la culture et aux cultures. Mais l’on doit dire aussi :
« CULTURES MULTIPLES DES PEUPLES, UN SEUL PATRIMOINE : LE PATRIMOINE
DE L’HUMANITÉ ».
La culture reste, en effet, la sève des peuples. Son Exc. Monsieur Koïchiro
MATSUURA, a bien voulu me signaler que visitant Kabul en 2001, il lut, gravée
en graffiti sur les murs du Musée national, cette belle maxime :
« Une nation
reste vivante, lorsque sa culture reste vivante »
Nous pourrons donc proclamer : « Le patrimoine mondial reste
vivant, lorsque les cultures restent vivantes ». Oui, grâce à la
Convention de 1972, le patrimoine mondial restera vivant. Nous y veillerons
tous. C’est notre serment de KYOTO !
Merci vivement de votre attention.